La demande comme l’octroi de pardon est un exercice de longue haleine mais incontournable dans le processus de la réconciliation effective de la société burundaise. C’est la conclusion tirée par le Parlement réuni en congrès le lundi 18 septembre 2023 pour suivre la présentation du rapport d’étape de la CVR. La plus-value est le plongement à l’époque coloniale, de 1896 à 2022, même si ce rapport s’est focalisé sur une période de quatre ans, allant de 2018 à 2022.
Selon ce rapport, le mal burundais qui se matérialise par des crises récurrentes trouve ses racines dans la colonisation d’abord par l’Allemagne (de 1896 à 1916) puis par la Belgique (de 1916 à 1962). 12 chefs d’accusation dont l’invasion du pays et les crimes contre l’humanité pèsent à la colonisation dont les séquelles sont encore béantes. En témoignent le germe de la division consécutive au bouleversement de la société. Alors que les Burundais se reconnaissaient par les clans, en voilà les colonisateurs qui instaurent le système d’ethnies avec son corollaire de suprématie.
Le phénomène de renégat communément appelé “kwihutura” découle aussi d’un complexe identitaire à telle enseigne que ce clan se retrouve aussi et chez les Bahutu et chez les Batutsi. Néanmoins le rapport reconnaît que la vie n’était pas rose avant la pénétration européenne. Des innocents étaient sacrifiés lors de la fête du sorgo et des semailles connue sous le nom de “umuganuro”. Certains clans étaient taxés de porte-malheur.
Force a été pour le rapport de constater que toutes les couches de la population burundaise ont été endeuillées par les crises répétitives qui ont éclaté depuis l’assassinat du Héros de l’indépendance, le Prince Louis Rwagasore. Depuis lors, la dynastie a connu des chicaneries en l’occurrence les Batare qui ne sont pas en odeur de sainteté avec les Bezi. Une autre tragédie consécutive au meurtre du Prince Louis Rwagasore est l’assassinat, le 14 janvier 1962, des syndicalistes chrétiens et des membres du PDC, Parti Démocrate Chrétien, à Kamenge, Gasenyi et Gatunguru par la JNR, Jeunesse Nationale Rwagasore. La déchirure du tissu social s’est élargie au fil du temps. Ainsi, en 1964, s’est ouverte une fracture identitaire au sein de l’église catholique du Burundi avec l’assassinat de Monseigneur Gabriel Gihimbare, Premier évêque Murundi, natif de Giheta issu de l’ethnie hutu. Il a succombé alors que le Saint siège venait fraîchement de l’honorer pour succéder à Monseigneur GORJU Julien.
Le 15 janvier 1965, le Premier ministre Pierre Ngendandumwe, hutu, a été assassiné dans la cour de la Clinique Rondin alors que son épouse était en couches. La même année, le Secrétaire d’Etat à la Police, Antoine Serukwavu se courba à la ruse du Secrétaire d’Etat à l’Armée, le Capitaine Michel Micombero pour un pseudo coup d’Etat qui verra la décapitation des dirigeants Hutu à la tête de l’Assemblée nationale dont Joseph Bamina, Ignace Ndimanya, Émile Bucumi, Paul Mirerekano et Patrice Mayondo. Serukwavu qui s’est retrouvé seul au palais à la tête de ses troupes a dû s’enfuir devant le régiment de Micombero qui s’était déguisé en sauveur. Ce dernier a usé de la ruse pour convaincre le roi Mwambutsa IV à sauver sa vie en fuyant à l’étranger. La même fut employée par Micombero qui conseilla le Prince Charles Ndizeye de détrôner son père en 1965. C’est ce qu’il fit. Il régna sous le nom dynastique de Ntare V. Mais son règne dura le temps de la rosée puisqu’il a été destitué par le Capitaine Michel Micombero en 1966. Du coup il a mis fin au régime monarchique pour instituer la république.
En 1969, certains Hutu furent accusés de toutes pièces de fomenter un coup d’Etat. Sous simulacre de jugement, ils ont été hâtivement assassinés.
En 1971, ce fut le tour des militaires Tutsi banyaruguru d’être accusés injustement. Le Procureur général de la République, Monsieur Léonard Nduwayo, préféra déposer sa démission au lieu d’accuser les innocents. Ces derniers ont été acquittés.
Le paroxysme des massacres de Hutu a été atteint en 1972. Le génocide de 1972 a été minutieusement planifié à telle enseigne que même l’étranger a été impliqué, en témoignent la soit- disant rébellion baptisée Maï Mulele qui serait venue du Zaïre (l’actuel RDC) pour semer la désolation en massacrant la population Tutsi à Rumonge le long du lac Tanganyika. Pour venger ces disparus, le régime en place se livra à l’élimination systématique des Hutu intellectuels et commerçants dans tout le pays.
L’Allemagne et la Belgique devraient demander pardon au peuple burundais et réparer les crimes opérés au Burundi sans oublier d’indemniser la famille du Prince Louis Rwagasore.
Pour les parlementaires qui se sont étonnés de ne trouver nulle part dans le rapport de la CVR apparaître le parti Uprona alors que les personnalités telles Joseph Bamina et Paul Mirerekano étaient des militants de première heure de cette formation politique, il leur a été répondu que l’Uprona, étant parti unique, était un parti-Etat.
S’agissant de l’implication significative des réfugiés rwandais dans le génocide de 1972, le Président de la CVR a expliqué que les rwandais dont les noms figurent dans le rapport ont joué un rôle effectif. Certains ont été vus tenant en main soit des fusils soit des listes des personnes à massacrer. D’autres encore conduisaient des véhicules à bord desquels se trouvaient des cadavres. Par ailleurs, les réfugiés Tutsi rwandais ont créé une psychose chez les Tutsi burundais, ce qui aurait conduit ces derniers à “devancer” les Hutu du Burundi pour ne pas subir le même sort que les tutsi du Burundi.
Pendant la guerre, il y a eu des pertes en vies humaines et des pertes matérielles. La réconciliation ne peut pas être effective quand la victime n’a pas encore recouvré ses droits. Aussi le Président du Sénat a-t-il proposé de ramener la loi régissant la CVR à la table du Parlement pour modification. En effet pour le Très Honorable Emmanuel Sinzohagera, la CVR devrait récupérer les missions confiées à la Commission terre et autres biens, CNTB, qui n’existe plus.
A l’issue de ce congrès, le Parlement a sorti une déclaration Solennelle adoptant ce rapport tout en encourageant la CVR à continuer à enquêter sur les autres événements des années 1988 ; 1991 ; 1993 jusqu’en 2008. Cette déclaration demande au Gouvernement de la République du Burundi de mener une campagne diplomatique sur base des résultats déjà réalisés et l’invite à mettre en place un cadre de dialogue, à accorder le budget nécessaire pour l’évacuation du monticule de terre qui couvre des fosses communes enregistrées non encore excavées sur le site de la Ruvubu et à demander officiellement pardon, au nom de la nation burundaise, à toutes les familles qui ont été endeuillées lors des crises du passé.